Concert du 15 Mars 2017
Lieu : Grrrrte Chauvet HLM
Parmi les candidats à une 151ème étape du voyage
psychédélique, disons, la plus contemporaine, les musiciens
gravitant autour du label et collectif La Nòvia sont ceux auxquels je pense le
plus souvent. Et ce n’est pas seulement à cause de leur hyperactivité… Il y a
Toad, La Baracande, Sourdure, Les Maîtres Fous (peut-être les plus kosmische du lot) et bien sûr France,
dont les accointances avec le Krautrock sont saillantes. Tous ne sont pas chez La
Nòvia, mais tous gravitent autour de ce label-point de repère, et tous incorporent à
des degrés divers des instruments traditionnels, le plus souvent la vielle à roue
ou la cornemuse. Tanz Mein Herz fait partie de ces groupes satellitaires, dont l’unique
mini-album sorti chez Standard In-Fi laisse augurer d’un futur LP de grande
qualité.
Une perle qui m’avait valu un grand regret : celui de
les avoir ratés en première partie de Sun Araw l’an passé, dans la même salle.
C’est un line-up légèrement différent que je retrouve ce 15 mars. Le groupe est
basé autour de la section rythmique de France et des Maîtres Fous
(Tilly-Sauvage), accompagnés de Alexis Degrenier, Pierre Bujeau, Pierre-Vincent
Fortunier et Guilhem Lacroux (guitariste-pivot de La Nòvia), ces deux derniers
étant aussi dans Toad et La Baracande. Un sextette avec cornemuse et vielle à
roue, donc. Exit Ernest Bergez alias Sourdure, qui ne figure pas au line-up ce
soir-là.
Le dispositif scénique de Tanz Mein Herz est le plus souvent constitué de Jérémie Sauvage et Pierre Bujeau vus de dos, tournés vers les autres
musiciens, Alexis Degrenier (vielle à roue) et Guilhem Lacroux (guitare,
souvent lapsteel) étant assis.
On est donc d’emblée confronté à l’austérité de l’attitude,
qui force à se concentrer sur la musique. Les musiciens de se font oublier, leurs
visages tournés vers... Le passé. Mais c’est une posture trompeuse, car il ne
s’agit pas du passé des 60’s ou 70’s, idéalisé et désormais hors d’atteinte pour de bon, il s’agit d’un
passé infiniment plus lointain, si lointain qu’il en devient trouble et
hypothétique (comme un... futur utopique), qu’il perd sa place fixe dans la
temporalité pour ne plus être qu’un temps autre, un temps lointain, peu importe
dans quel sens.
Et dans ce passé antédiluvien, avant les pluies, avant les
coulées de boue, la fonte des glaciers immenses et les catastrophes, il y a eu
une nouba de tous les diables...
Une fête dont l’écho sourd
se réverbère dans les arcanes de cette musique... Le rythme en est au
départ absent, démarrant en douceur, presque imperceptiblement, dans les limbes
de la perception puis zoomant progressivement... Le mouvement est comme un microscope
qui examinerai un minerai souterrain, a priori ingrat et stérile, mais qui se
révèlerait grouiller d’une pulsation de vie primitive et fascinante, à mesure
que la lentille grossit l’image. Plutôt que de questionner l’infini, Tanz Mein
Herz questionne la distance et le microscopique.
Il faut une certaine intuition pour les choses ancestrales
pour sentir les vibrations de cette bacchanale des temps immémoriaux. La
guitare double-manche de Pierre Bugeau devient ainsi à la fois un rappel des os démesurés servant
d’instrument à nos homologues préhistoriques (on parle de tibias de dinosaures,
un machin colossal) et de bâton de
so(u)rcier, servant à capter les
rémanences de ce qui fut.
Sous ces voûtes, dans ces flaques que nul n’est venu
perturber depuis des millénaires, reste surtout le souvenir des fréquences
basses, dont l’écho le plus long se propage jusqu’à nos oreilles
contemporaines. Un écho sourd, comme une empreinte fossile énorme et grossière,
mais portant en elle la trace d’une musique ample et assourdissante, dont on frémit
d’imaginer la forme première.
On constate avec joie que la fonction primordiale de toute
musique a survécu au temps : nous faire nous sentir bien, nous faire
accepter les contingences de l’instant et du lieu avec grâce. Nous ressentons
un peu de ce que les premiers musiciens ont ressenti, tandis qu’ils attendaient
qu’au dehors veuille bien cesser la débâcle. « Spiegel Jam », dans
son élan qui émane d’on ne sait quelles profondeurs, est tout de remous,
épaisseur et souplesse malgré tout.
On devine la topographie du Bayreuth des âges farouches. L’air
épais et frais de la grotte, les parois suintantes et déchiquetées, les gouttes
qui s’échappent imperturbablement de trous invisibles dans un plafond inatteignable...
La terre tassée et sombre du sol, là où
il n’est pas décoré de sculptures calcaires, traces de l’infinie patience du
monde minéral. Du haut de ces 10 millions d’années de goutte à goutte, cent chauves-souris
vous contemplent...
Quand la vibration enfle trop fort et devient impétueuse, les
volatiles se réveillent soudain, et s’engouffrent comme un seul organisme dans
un grand trou sombre du plafond de la grotte, dans un bourdonnement aigu et
presque surnaturel dans la réverbération de cette cavité.
Alors les souvenirs se réactivent dans la pénombre.
La cornemuse esquisse la brume alanguie d’un volcan après l’éruption, et les étranges fréquences oniriques
produites par l’interaction des instruments semblent évoquer les contours d’une
flore étrangement alanguie, luxuriante et
étrangère à nous, nichée à l’ombre d’une caldera....
Tanz Mein Herz procure tout ceci avec l’attitude froide et
de ceux qui exécutent un rite, leurs dos tournés vers l’intérieur comme les
statues de l’île de Pâques. Ils nous rappellent cette leçon essentielle de la
meilleure musique psychédélique et de ses mystères (il n’y a pas de
psychédélisme sans mystère, même un tout petit peu) : ce n’est pas parce
qu’on n’a pas connu un lieu où un temps qu’il ne faut pas s’en souvenir.
~
Pour ceux qui n’étaient pas là ou que la contemplation du
dos des musiciens intrigue, reste cette vidéo pour voir à quoi ils ressemblent
Il s’agit de Spiegel Jam, titre inédit sur support physique
pour l’instant.
Line-up :
Jeremie Sauvage : basse
Mathieu Tilly : percussions, générateurs
Pierre Bujeau : basse, guitare double-manche
Guilhem
Lacroux : guitare, lap steel
Alexis Degrenier : vielle à roue, percussions
Pierre Vincent Fortunier : cornemuse, violon
(affiche d'un concert passé)