samedi 20 avril 2019

King Gizzard & Mild High Club, Transbordeur, 2 mars 2018



Mild High Club.

L’association n’allait pas de soi : faire jouer Mild High Club, quatuor dont le leader Alex Brettin avait enregistré tout un album avec King Gizzard en 2017, juste avant les désormais stars Australiennes. Bien que leur collaboration ait donné lieu à Sketches of Brunswick East, l’un des albums les plus appréciés de King Gizzard, Mild High Club joue très nettement dans une cour plus apaisée et berçante, et surtout, pratiquement pas rock.

Le public semble unanimement s’amuser des volutes pastel du groupe, tout en les entendant de loin, comme un peu insignifiantes. Je suis pour ma part totalement sous le charme de cette pop jazzy gorgée d’harmonies louvoyantes et étranges, hantée par un chant lunaire et sous influence probablement herbacée. J’y entends beaucoup de réminiscences de musique brésilienne, de bossa mais aussi de pop psyché auriverde du genre Kassin ou Dmingus. J’ai du répéter cinq fois à mon voisin – sans rencontrer d’écho – qu’ils avaient, en ça, le mérite de battre le pavillon de l’hémisphère sud musical à une époque où la sensibilité bossa nova et jazz a disparu des radars pop. Mais en France on aime dire qu’une musique est d’ascenseur dès qu’elle semble un tant soit peu s’y prêter, ce qui n’empêche pas d’aimer quand l’ascenseur fait boite de nuit et troque l’ambiance cocktail pour le vulgaire. Bref, il faut saluer le courage de ce groupe de ne dénaturer en rien son style neurasthénico-sensuel, entre Pinback et Mac Demarco (en plus original), même sur une grosse scène. Et saluer celui de King Gizzard de s’acoquiner avec eux, quand bien même leur public, comme j’allais le découvrir, est essentiellement venu pour perdre des calories et céder à une hystérie rock désormais devenue un peu rare.




King Gizzard & The Lizzard Wizard

Avant d’en venir à la description du concert à proprement parler, quelques mots du phénomène King Gizzard, que d’aucuns auront cherché en vain dans mon livre (finalisé début 2015, ils auraient pu y figurer, mais n’avaient alors pas sorti d’album qui m’ait suffisamment convaincu). King Gizzard est un groupe qui m’a toujours posé problème, d’une façon similaire à Tame Impala. Je me suis toujours méfié des groupes qui font consensus, idée que je trouve antinomique avec le Rock. Qu’il soit dur ou alternant le mou et le power-rock rageur et télescopique comme ici, le consensus ne me plaît pas, il suscite ma méfiance, comme une histoire sans histoires, une scène trop californienne pour être vraie, une sitcom sans indispensable quotient de bûches pensantes et de mauvais rêves fabuleux. Mais il faut bien en parler, parce que ce consensus là a au moins ceci de bon : on peut encore être nombreux à être d’accord sur un groupe en 2019 (2018, là, en l’occurrence) pour de vraies raisons musicales, sans qu’il s’agisse d’un gros tube pop à la mode ni d’un 8645ème comeback amoureusement (beurk) mitonné par papy. Quand King Gizzard est arrivé en ville de son Australie natale l’an passé, donc, j’y croisais beaucoup de têtes connues, tous aux goûts différents, et un pote fan de Djent et de hard 70’s classique me fit remarquer qu’aucun autre groupe n’aurait pu rassembler de telles sensibilités, y compris les têtes de lard comme mézigue qui fuient les grandes salles et les affiches type festival. 



C’était le hold-up de 2017 : 5 albums très bons sortis dans l’année, une présence médiatique insistante, et un nom qui commence à s’imposer comme le successeur de Tame Impala au rang de groupe psyché le plus populaire, volant ainsi la vedette aux Thee Oh Sees (injustement, à mon avis de chieur certifié). C’est suspect, ça, ça sent l’esbroufe… Et en plus, ils sont jeunes ! Impardonnable en 2018. Trêve de roublardises, ce n’est pas tout à fait pour ça que je préfère Thee Oh Sees, c’est aussi un peu parce que le coup des deux batteurs est juste divinement réussi et justifié chez les californiens, au moins autant que superfétatoire et mécanique chez King Gizzard. Et musicalement, y’a pas photo, c’est chez la bande à John Dwyer que les australiens ont été chercher leur énergie roborative, pas du côté des influences de leurs compatriotes Tame Impala. Peut-être à cause de leurs inspirations, définitivement du côté britannique de la force, là où le groupe de Kevin Parker manifeste un plus grand appétit pour le lustre et la brillance des productions ricaines des 70’s. King Gizzard, eux, vont puiser dans l’autre grande mamelle du rock de cette inépuisable décennie : le rock prog, tendance épique voire héroïque, dompté par cette musique tellurique et labyrinthique, toute en grappe de sons têtus, agglomérats d’orgue et de guitare que l’on a bien retrouvé ce soir là sur la scène du Transbo. Le grand mérite de King Giz’ reste d’avoir amené le très grand public à une musique assez violente et prog sur les bords, et pour le coup vraiment psychédélique, à une époque où seule la mièvrerie mélodique semble payer.




Sur scène, le septette a de l’énergie à revendre, et sa mécanique est parfaitement huilée. Peut-être trop. Mêmes les chœurs troubles et grelottants sonnent un peu trop en place, vis à vis de l’énergie clairement hard rock de l’ensemble (et le public n’attend que ça, du hard rock ! même si beaucoup n’osent se l’avouer.). Les titres de leur album Flying Microtonal Banana (peut-être le plus apprécié) sont ceux qui recueillent le plus de hurlements approbateurs et de bras levés du public, qui braille même à tue-tête le gimmick de « Rattlesnake » dès l’ouverture du set. Tout le monde saute et pousse, sauf ceux qui sont là pour écouter, qui souffrent conséquemment de l’attitude d’un public qui n’a pas l’habitude des concerts punk ou métal, et qui croit « pogoter » alors qu’ils ne font, essentiellement, que parodier une mêlée ratée de Rugby. Pour ma part, je vais me percher sur les gradins dès la quatrième chanson, afin d’apprécier un minimum la musique délivrée par le groupe.

Les titres s’enchaînent sans quasiment aucun temps mort. Les longs rubans de riffs de Nonagon Infinity et de ses nombreuses variations succèdent aux ambiances plus étranges et orientalisantes de Polygondwanaland, tandis que les quelques tubes comme « Gamma Knife » rapprochent un peu plus le groupe d’une certaine culture métal, bien plus que du genre progressif. 



La guitare « microtonale » modifiée de Stu McKenzie, aux frettes supplémentaires rajoutées sur le manche pour obtenir des quarts de tons, et selon lui-même, des « notes secrètes », est tout simplement divine, sorte d’engin charmeur de serpent destiné à l’hydre aux cent têtes que de représentent les premiers rangs de la fosse, que je regarde désormais continuer de s’ébattre furieusement de loin. Les gens juchés sur les gradins eux aussi dansent et s’en donnent à cœur joie : pas de doute, King Gizzard est un groupe adulé ! Je remarque pour ma part que les morceaux les plus planants, mélancoliques, laissent la place à une certaine fadeur, voire à une certaine prévisibilité. Mais cela peut-être vu comme une respiration avant la reprise des tourbillons de claviers et riffs de guitares, striés de solos gorgés d’effets, le tout accompagné par des projections vidéo psychédéliques. Fini le temps des jeux d’eaux et de peinture sur vidéo-projecteur, il s’agit de peintures mouvantes abstraites et numériques, à la façon de presets Winamp. Ça n’a guère de charme, mais on comprend que cela distrait l’attention de ce qui se passe sur scène, car oui, le groupe reste très statique, concentré sur sa musique. Stu McKenzie à le mérite de refuser de se mettre en avant comme le chanteur-star, il est totalement impliqué dans son jeu et n’accapare aucunement l’attention. Au final un des tout meilleurs concerts psyché de la saison 2017-2018, bien que Thee Oh Sees reste largement indétrônable.