Mild High
Club.
L’association n’allait pas de soi : faire jouer Mild High
Club, quatuor dont le leader Alex Brettin avait enregistré tout un album avec
King Gizzard en 2017, juste avant les désormais stars Australiennes. Bien que
leur collaboration ait donné lieu à Sketches of Brunswick East, l’un des albums
les plus appréciés de King Gizzard, Mild High Club joue très nettement dans une
cour plus apaisée et berçante, et surtout, pratiquement pas rock.
Le public semble unanimement s’amuser des volutes pastel du
groupe, tout en les entendant de loin, comme un peu insignifiantes. Je suis
pour ma part totalement sous le charme de cette pop jazzy gorgée d’harmonies
louvoyantes et étranges, hantée par un chant lunaire et sous influence
probablement herbacée. J’y entends beaucoup de réminiscences de musique
brésilienne, de bossa mais aussi de pop psyché auriverde du genre Kassin ou
Dmingus. J’ai du répéter cinq fois à mon voisin – sans rencontrer d’écho –
qu’ils avaient, en ça, le mérite de battre le pavillon de l’hémisphère sud
musical à une époque où la sensibilité bossa nova et jazz a disparu des radars
pop. Mais en France on aime dire qu’une musique est d’ascenseur dès qu’elle
semble un tant soit peu s’y prêter, ce qui n’empêche pas d’aimer quand l’ascenseur
fait boite de nuit et troque l’ambiance cocktail pour le vulgaire. Bref, il
faut saluer le courage de ce groupe de ne dénaturer en rien son style
neurasthénico-sensuel, entre Pinback et Mac Demarco (en plus original), même
sur une grosse scène. Et saluer celui de King Gizzard de s’acoquiner avec eux,
quand bien même leur public, comme j’allais le découvrir, est essentiellement
venu pour perdre des calories et céder à une hystérie rock désormais devenue un
peu rare.
King Gizzard & The Lizzard Wizard
Avant d’en venir à la description du concert à proprement
parler, quelques mots du phénomène King Gizzard, que d’aucuns auront cherché en
vain dans mon livre (finalisé début 2015, ils auraient pu y figurer, mais
n’avaient alors pas sorti d’album qui m’ait suffisamment convaincu). King
Gizzard est un groupe qui m’a toujours posé problème, d’une façon similaire à
Tame Impala. Je me suis toujours méfié des groupes qui font consensus, idée que
je trouve antinomique avec le Rock. Qu’il soit dur ou alternant le mou et le
power-rock rageur et télescopique comme ici, le consensus ne me plaît pas, il
suscite ma méfiance, comme une histoire sans histoires, une scène trop californienne
pour être vraie, une sitcom sans indispensable quotient de bûches pensantes et
de mauvais rêves fabuleux. Mais il faut bien en parler, parce que ce consensus
là a au moins ceci de bon : on peut encore être nombreux à être d’accord
sur un groupe en 2019 (2018, là, en l’occurrence) pour de vraies raisons
musicales, sans qu’il s’agisse d’un gros tube pop à la mode ni d’un 8645ème
comeback amoureusement (beurk) mitonné par papy. Quand King Gizzard est arrivé
en ville de son Australie natale l’an passé, donc, j’y croisais beaucoup de
têtes connues, tous aux goûts différents, et un pote fan de Djent et de hard
70’s classique me fit remarquer qu’aucun autre groupe n’aurait pu rassembler de
telles sensibilités, y compris les têtes de lard comme mézigue qui fuient les
grandes salles et les affiches type festival.
C’était le hold-up de 2017 : 5 albums très bons sortis
dans l’année, une présence médiatique insistante, et un nom qui commence à
s’imposer comme le successeur de Tame Impala au rang de groupe psyché le plus
populaire, volant ainsi la vedette aux Thee Oh Sees (injustement, à mon avis de
chieur certifié). C’est suspect, ça, ça sent l’esbroufe… Et en plus, ils sont
jeunes ! Impardonnable en 2018. Trêve de roublardises, ce n’est pas tout à
fait pour ça que je préfère Thee Oh Sees, c’est aussi un peu parce que le coup
des deux batteurs est juste divinement réussi et justifié chez les
californiens, au moins autant que superfétatoire et mécanique chez King
Gizzard. Et musicalement, y’a pas photo, c’est chez la bande à John Dwyer que
les australiens ont été chercher leur énergie roborative, pas du côté des
influences de leurs compatriotes Tame Impala. Peut-être à cause de leurs
inspirations, définitivement du côté britannique de la force, là où le groupe de
Kevin Parker manifeste un plus grand appétit pour le lustre et la brillance des
productions ricaines des 70’s. King Gizzard, eux, vont puiser dans l’autre
grande mamelle du rock de cette inépuisable décennie : le rock prog,
tendance épique voire héroïque, dompté par cette musique tellurique et
labyrinthique, toute en grappe de sons têtus, agglomérats d’orgue et de guitare
que l’on a bien retrouvé ce soir là sur la scène du Transbo. Le grand mérite de
King Giz’ reste d’avoir amené le très grand public à une musique assez violente
et prog sur les bords, et pour le coup vraiment psychédélique, à une époque où
seule la mièvrerie mélodique semble payer.
Sur scène, le septette a de l’énergie à revendre, et sa
mécanique est parfaitement huilée. Peut-être trop. Mêmes les chœurs troubles et
grelottants sonnent un peu trop en place, vis à vis de l’énergie clairement
hard rock de l’ensemble (et le public n’attend que ça, du hard rock ! même
si beaucoup n’osent se l’avouer.). Les titres de leur album Flying Microtonal Banana (peut-être le
plus apprécié) sont ceux qui recueillent le plus de hurlements approbateurs et
de bras levés du public, qui braille même à tue-tête le gimmick de
« Rattlesnake » dès l’ouverture du set. Tout le monde saute et
pousse, sauf ceux qui sont là pour écouter, qui souffrent conséquemment de
l’attitude d’un public qui n’a pas l’habitude des concerts punk ou métal, et qui
croit « pogoter » alors qu’ils ne font, essentiellement, que parodier
une mêlée ratée de Rugby. Pour ma part, je vais me percher sur les gradins dès
la quatrième chanson, afin d’apprécier un minimum la musique délivrée par le
groupe.
Les titres s’enchaînent sans quasiment aucun temps mort. Les
longs rubans de riffs de Nonagon Infinity
et de ses nombreuses variations succèdent aux ambiances plus étranges et
orientalisantes de Polygondwanaland,
tandis que les quelques tubes comme « Gamma Knife » rapprochent un
peu plus le groupe d’une certaine culture métal, bien plus que du genre
progressif.
La guitare « microtonale » modifiée de Stu
McKenzie, aux frettes supplémentaires rajoutées sur le manche pour obtenir des quarts
de tons, et selon lui-même, des « notes secrètes », est tout
simplement divine, sorte d’engin charmeur de serpent destiné à l’hydre aux cent
têtes que de représentent les premiers rangs de la fosse, que je regarde
désormais continuer de s’ébattre furieusement de loin. Les gens juchés sur les
gradins eux aussi dansent et s’en donnent à cœur joie : pas de doute, King
Gizzard est un groupe adulé ! Je remarque pour ma part que les morceaux
les plus planants, mélancoliques, laissent la place à une certaine fadeur,
voire à une certaine prévisibilité. Mais cela peut-être vu comme une
respiration avant la reprise des tourbillons de claviers et riffs de guitares,
striés de solos gorgés d’effets, le tout accompagné par des projections vidéo
psychédéliques. Fini le temps des jeux d’eaux et de peinture sur
vidéo-projecteur, il s’agit de peintures mouvantes abstraites et numériques, à
la façon de presets Winamp. Ça n’a guère de charme, mais on comprend que cela
distrait l’attention de ce qui se passe sur scène, car oui, le groupe reste
très statique, concentré sur sa musique. Stu McKenzie à le mérite de refuser de
se mettre en avant comme le chanteur-star, il est totalement impliqué dans son
jeu et n’accapare aucunement l’attention. Au final un des tout meilleurs
concerts psyché de la saison 2017-2018, bien que Thee Oh Sees reste largement
indétrônable.